“Un concept sans stratégie, un déploiement inachevé”
Le rapport de la Cour des comptes sur le numérique à l'école pointe de graves manques de stratégies des services centraux, des dysfonctionnements opérationnels coûteux et l'abandon de la formation des enseignants, mais il indique précisément des voies rapides d'amélioration de l'action publique.
La Cour des comptes a mesuré les avancées du service public numérique pour l’éducation depuis 2013 et dresse un bilan très mitigé. Malgré des investissements importants, le ministère n’a pas suffisamment joué son rôle et laissé les collectivités et les enseignants sans directives claires quant à la mise en place du plan numérique
« Faire entrer le numérique à l’école », c’est l’objectif que s était donne le ministère de l’Éducation nationale en juillet 2013 en adoptant la loi pour la refondation de l’école de la République. L’enjeu pour le système scolaire c est de former les citoyens aux usages du numérique, sans quoi ils ne pourront pas accéder à la plupart des métiers. Il s agit aussi d utiliser numérique comme un puissant levier de transformation pédagogique, permettant de faire évoluer les méthodes d’enseignement, d’améliorer les apprentissages et de permettre l’évaluation en continu des résultats avec un objectif unique : la réussite de tous les élèves.
Le manque cruel de formation des enseignants au numérique n’a pas permis de faire évoluer leurs pratiques autant que nécessaire, et la plupart des outils mis à disposition par l’État sont méconnus des professionnels de l’enseignement.
2 milliards d’euros investis entre 2013 et 2017 dans le fameux plan tablettes !
La cour déplore que le plan d’investissement d’avenir (PIA2) ait donné, contre sa vocation initiale d’innovation pédagogique, la priorité au financement d’équipements individuels au détriment du déploiement de la connectivité des établissements.Cette politique coûteuse, peu efficace (les équipements deviennent rapidement obsolètes) et peu cohérente si elle n’est pas couplée à une transformation des méthodes d’enseignement est d’autant plus critiquable que le taux d’équipement actuel des jeunes atteint des sommets. En effet, 94% des jeunes de 12 à 17 ans ont un ordinateur personnel en 2018 et 97% une connexion internet à domicile. Dans ce contexte, la Cour juge qu’il serait plus pertinent d’encourager le BYOD (bring your own device) ; tout en permettant aux élèves qui en font la demande d’être équipés par la collectivité, selon des critères
Malgré les investissements, les conditions de déploiement d’un « service public du numérique éducatif » ne sont toujours par réunies et révèlent d’importantes disparités entre les territoires. Ce préalable au déploiement d’une politique du numérique à l’école a donc, comme l’ont été la réflexion sur l’innovation pédagogique et la formation des enseignants, été négligé au bénéfice du tout-équipement.
Carences, défaillances et manquements de l’Éducation Nationale
En théorie, la politique éducative résulte d’une co-construction entre l’État – responsable des enseignements, des enseignants, des programmes et de la pédagogie – et les collectivités, qui mettent en place les directives étatiques au sein des établissements et gèrent la bonne tenue des infrastructures. Il y a une réelle fragmentation des politiques publiques, sans cadre national d’ensemble.
La cour déplore l absence de cadrage du ministère concernant les nouveaux programmes 2019 liés à la réforme du lycée et le basculement vers le numérique. L État manque ici à sa fonction directrice en n’émettant pas de consignes et d’objectifs clairs, sans un cadre qui définirait précisément les objectifs d’équipement et de services de l’Éducation nationale.
Le ministère doit reprendre ses responsabilités et assumer pleinement son rôle dans la formation des enseignants qui n’intègre pas les compétences numériques nécessaires. En effet, la validation de ces compétences lors de la formation initiale a été retirée et la formation continue est sous-calibrée. Les enseignants manquent également, à l’image des collectivités, de directives claires du ministère sur la place que doit prendre le numérique dans leur pédagogie. Il est du rôle de l’Éducation nationale de mettre à disposition les ressources pédagogiques nécessaires mais aussi d’orienter les professeurs vers le contenu le plus pertinent, et de le rendre accessible facilement. La Cour déplore en cela la multiplicité des plateformes
Enfin, il incombe à l’État d’assurer la sécurité des données personnelles des enseignants et des apprenants.
Les recommandations de la Cour des comptes
Afin de mieux coordonner l’action conjointe de l’État et des collectivités, ainsi que les attentes du ministère auprès du corps enseignant, la Cour encourage la création d’un socle numérique de base pour chacune des trois strates d’établissements scolaires. Ce socle combinerait objectifs d’infrastructures et d’équipements, mais également de pédagogie et de ressources éducatives. Ce socle serait homogène pour chaque catégorie d’établissements, réalisé en concertation avec les régions, adapté par négociation entre les acteurs concernés.
La cour des comptes recommande que plan PIA3 participe au financement du projet de socle numérique de base et oriente les investissements dans les infrastructures, les réseaux, l innovation pédagogique et la formation des enseignants .
La Cour rappelle qu’il est essentiel de rétablir la certification des compétences numériques initiales ainsi que la formation continue des enseignants déjà en poste, sous peine de ne jamais pouvoir pleinement faire entrer le numérique à l’école
La certification des compétences numériques des enseignants est indispensable dès le MEEF (master de l’enseignement, de l’éducation et de la formation), mais aussi durant leur carrière professionnelle. un plan de formation continue obligatoire via le MEN (Ministère de l’Éducation nationale)doit être enfin proposé. Pour les ressources éducatives, la Cour préconise l’agrégation des services numériques via un portail unique afin d’en faciliter l’accès aux enseignants et aux élèves.
En termes d’infrastructures et d’équipements, il est urgent de compléter la cartographie des débits et de la connectivité dans l’ensemble des établissements. Le taux d’équipement privé est tel que le BYOD est à encourager, ce qui permettrait de réserver les fonds d’acquisition d’équipements individuels aux élèves qui en font la demande.
Enfin, il faut veiller à respecter la doctrine d’emploi des PIA (programme d’investissements d’avenir) en ne finançant que les investissements liés à l’innovation pédagogique ; là où le PIA2 a failli en devenant un plan d’équipement.